Burkina Faso, mars 2016 , Nathalie

Voyage au Burkina Faso en Mars 2016

Séminaire d’études “La médecine est-elle un art ?”
Témoignage de Nathalie

Contexte : Ce voyage avait pour projet d’emmener un groupe de soignants français au Burkina Faso pour découvrir les différentes structures et modalités de soins , moderne et traditionnels, ceci en immersion autant que faire se peut, dans la culture burkinabée et associés à cette découverte, des ateliers de théâtre et de danse afro- contemporaine. L’introduction de ces  techniques des arts vivants a pour but à la fois de servir de canal pour restituer nos sensations et nos expériences vécues et d’autre part une exploration de la place du corps du soignant dans la relation médecin-malade par la mise en jeu dans un travail corporel.

Sur le plan médical, le sujet a été introduit par me Blandine Bila, anthropologue de la santé et chercheuse à l’IRS, institut de recherche en santé. Son exposé nous a présenté le contexte sanitaire du Burkina Faso, l’épidémiologie, les différentes structures de soins modernes et traditionnelles, le problème des médicaments de la rue… Il a été suivi d’un long échange avec les participants.
Nous avons visité des structures de soins publiques:  le CSPS Centre de santé et de promotion sociale d’acarville, premier niveau de soins, le CMA, centre médical avec antenne chirurgicale, de Dô hiérarchiquement supérieur au CSPS qui est une sorte de hôpital régional  avec des services de toutes les spécialités, nous avons également visité l’hôpital universitaire Soro Sanou à Bobo-Dioulasso
À chaque fois, nous avons été extrêmement bien reçus par les médecins et les soignants de ces structures, nous avons pu visiter les lieux, échanger avec les médecins, assister à des consultations. Le médecin chef du CMA de Dô nous a reçu le soir de notre visite pour que nous puissions échanger et lui faire un retour.

Nous avons été agréablement surpris par le professionnalisme des soignants. En effet malgré le manque de moyens, nous avons remarqué une très grande compétence professionnelle de tous les soignants ainsi que de grandes compétences relationnelles. La clinique est au centre de leur travail, ce qui fait réfléchir à nos propres pratiques et à la surconsommation des examens complémentaires chez nous.
Nous avons également rencontré plusieurs médecins traditionnels. En premier lieu le grand guérisseur Saïdou de Nagreongo. Cet homme est connu dans toute l’Afrique de l’Ouest , de nombreux patients affluent dans ce lieu isolé à 40 km de Ouagadougou. Des centaines de personnes sont réunies là pour les soins du guerisseur. Les familles accompagnent toujours les malades. Certains restent plusieurs mois. Nous avons assisté, après une longue attente, aux soins de nuit: D’abord des familles entières se sont présentées pour exposer leurs problèmes relationnels,  puis les malades ne pouvant marcher et le lendemain matin au traitement des fous. Raconter ce que nous avons vu est quasiment impossible tant les mots manquent pour décrire ce spectacle incroyable.  Le guérisseur Saïdou  est agréé par le Ministère de la Santé comme en témoigne une plaque officielle à l’entrée du site, il a reçu également de nombreuses distinctions comme ambassadeur de la paix….     Nous avons également rencontré un rebouteux c’est-à-dire un médecin traditionnel qui soigne fractures, luxations et entorses.  Il travaille d’une manière moins étonnante pour nous occidentaux, réduisant les fractures, les immobilisant avec des attelles mais ce qui est tout à fait particulier, c’est qu’il masse longuement l’autre membre: par exemple dans le cas d’une fracture de l’avant-bras droit,  après avoir réduit et immobilisé la fracture à droite, il massera le côté correspondant à gauche.
En nous rendant à Bobo, nous avons fait halte chez le grand marabout Lassina, qui est un religieux soignant par des prières. Tous les gains issus de son travail servent à scolariser les enfants du village.
Nous avons également rencontré une femme guerisseuse dans le petit village de Biforo qui parle avec les génies. Ceci est également très impressionnant. Elle s’adresse aux génies à haute voix et nous entendons une autre voix qui lui répond!Est-elle ventriloque? Ou schizophrène comme certains l’ont évoqué?
Bien sur, il est tentant de chercher une explication rationnelle et essayer de faire rentrer dans nos catégories de pensée occidentale ce que l’on observe chez ces tradipraticiens. Je me contenterai de souligner que ces pratiques répondent à une demande de la population, prennent en charge de nombreux patients et sont parfaitement en adéquation avec la culture du pays et les représentations en matière de santé et maladies. A noter, pour tous ces soins traditionnels les gens donnent ce qu’ils veulent en fonction de leur satisfaction.
En conclusion, il existe au Burkina deux médecines qui se complètent et cohabitent, la médecine dite moderne dans des structures de soins très hiérarchisées et très bien organisées malgré le manque de moyens, et la médecine traditionnelle avec différent types de guérisseurs, qu’ils travaillent avec les génies, les plantes ou Dieu, inégrant toujours une dimension mystique en relation avec ce qui ne se voit pas ou ce qui ne s’explique pas, du moins au regard de notre science occidentale.Un travail de fond a actuellement lieu à l’initiative du gouvernement pour établir des relais entre ces deux types de médecine, introduire les médecines traditionnelles dans les centres de santé et standardiser les médicaments traditionnels à base de plantes.

Une autre part importante de notre travail pendant ce séminaire a  été les ateliers de théâtre et de danse. Ce mélange observation du travail des médecins et des tradipraticiens avec les ateliers théâtre et danse a très bien fonctionné. Cela a permi une très bonne cohésion du groupe. Nous avons exploré sous divers aspects,  la relation à l’autre et en particulier au corps de l’autre, l’écoute ou au contraire le fait de prendre sa place. Il s’agit d’expériences qui marqueront, je pense, chacun et qui fait sens dans la pratique de médecin.

Cette formation avait pour objectif une ouverture à la complexité psychosomatique et culturelle, il s’agissait de confronter des soignants à d’autres pratiques, d’autres façons de faire, d’autres manières de penser, une autre culture et que tout ceci entre en résonance avec les pratiques de chacun pour impulser un changement qui n’est pas prédictible. La dimension artistique est à mon avis tout à fait adaptée pour questionner, explorer la part inexplicable des soins et de la guérison. En Occident on a tendance à toujours rationaliser ce qui ne peut pas être expliqué, ce que la science n’est pas actuellement en mesure de rendre compte. On parle de l’effet placebo, de la relation médecin-malade,  alors qu’en Afrique en l’occurrence au Burkina, cette part inexplicable est au contraire valorisée et est en harmonie avec le système des représentations et de la pensée.